Is air and sea power equalized by readily available consumer grade micro-circuitry and the proliferation of missile technology ? Is NATO toast ? What is the actual state of the U. S. Military ? Why does the West solely knows military intervention or sanctions for diplomacy ?
The fall of the American Empire or business as usual, in either case a deep dive into the abyss ?
ISR = Intelligence, Surveillance and Reconnaissance
French Invaders is a co-op between Renaud Beauchard and L’Eclaireur.
French Invaders est une coproduction de Renaud Beauchard et L’Eclaireur.
Le colonel Douglas Macgregor est diplômé de West Point et titulaire d’un doctorat en relations internationales de l’université de Virginie. Il a commandé et remporté en 1991 en Irak la dernière grande bataille de chars qu’a livré l’armée américaine, la bataille de 73 Easting.
Durant ses vingt-huit années de carrière militaire, le colonel Douglas Macgregor a notamment été chef de la planification stratégique et du centre d’opération interarmes du commandement suprême de l’Otan durant l’intervention de 1999 au Kosovo. Il fut également le conseiller du secrétaire à la Défense par intérim Chris Miller sous la présidence de Donald Trump.
Douglas Macgregor est un spécialiste de la “configuration des forces”. Les deux livres qu’il a écrits sur le sujet Breaking the Phalanx (Praeger, 1997) et Transformation under Fire (Praeger, 2003), font autorité sur le sujet. Son dernier ouvrage, Margin of Victory: Five Battles that Changed the Face of Modern War est disponible chez Naval Institute Press.
Il est aujourd’hui le président de Our Contry Our Choice.
Retranscription en français
French Invaders : Dans cet épisode de French Invaders, notre invité est le colonel Douglas MacGregor. Colonel MacGregor, merci beaucoup de prendre le temps de nous parler.
Si vous le permettez, nous aimerions commencer notre conversation en abordant la possibilité qu'il y ait eu un changement de paradigme significatif dans l’art de la guerre depuis le début du conflit en Ukraine, notamment en ce qui concerne la suprématie aérienne et maritime. Nous aimerions beaucoup avoir votre avis à ce sujet.
Col. MacGregor : Merci, c'est une excellente question. En fait, ce changement de paradigme s’est produit il y a déjà bien longtemps. Mais comme c'est souvent le cas, personne n'y prête attention jusqu'à ce que le changement de paradigme se confronte à la réalité. Et en ce moment, nous avons un problème très sérieux parce que nous avons créé des capacités de surveillance aérienne très persistantes, difficiles à leurrer, ce qui rend les manœuvres au sol extrêmement dangereuses.
Dans les livres que j'ai écrits, Transformation Under Fire et plus tard Margin of Victory, j'ai évoqué la nécessité pour les forces de manœuvre au sol d'être ce que j'appellerais des forces à haute létalité et faible densité. Autrement dit, nous faisons face depuis de nombreuses années à une situation où le nombre de personnes présentes dans ce qu'on appelle l'espace de bataille, ou sur le champ de bataille, diminue.
Si vous rassemblez les troupes de manière dense comme il y a deux cents ans, et comme cela a malheureusement été tenté lors de la guerre franco-prussienne, puis de nouveau lors de la Première Guerre mondiale en 1914, vous voyez que de nombreux soldats sont tués, car ils deviennent des cibles faciles pour les armes automatiques, comme les mitrailleuses et l'artillerie. Nous avons donc commencé à réorganiser et réorienter notre réflexion sur la guerre terrestre.
Mais aujourd'hui, nous avons dépassé ce vieux paradigme pour un nouveau où l'on peut être vu, entendu, identifié et ciblé presque en permanence. Dans ces conditions, que pouvez-vous faire face à des plateformes de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) qui posent un problème universel pour toutes les forces armées. Et gardez à l'esprit que pour les États-Unis, par exemple, ces capteurs vont du fond des mers jusqu'à l'espace.
Si vous avez cette situation au sol, alors il faut trouver des moyens de se protéger contre les attaques venant d'en haut. Ces plateformes ISR permettent des attaques presque en temps réel sur les cibles qu'elles repèrent, la seule limite étant le nombre de munitions guidées de précision, de missiles ou de roquettes que vous avez à disposition. Voilà tout.
Dans ces circonstances, comment vous protégez-vous de cela ? Pouvez-vous y échapper ? C'est difficile. Aller vite aide, mais ce ne sera pas suffisant.
Nous devons donc trouver de nouveaux moyens pour protéger les équipements au sol. Cela signifie que nous, en Occident, et en particulier les États-Unis, devons investir dans quelque chose que nous avons ignoré pendant des décennies : la défense aérienne et antimissile tactique et opérationnelle.
Dans la plupart des pays, et je pense que c'est le cas pour vous dans l'armée française, la défense aérienne fait en réalité partie de l'armée de l'air. Aux États-Unis, la défense aérienne a toujours relevé de l'armée de terre, et le plan de défense aérienne de l'armée de l'air consistait à envoyer des avions pour abattre les menaces. Cela a très bien fonctionné jusqu'à présent, mais nous approchons de la fin de ce modèle.
Dès lors, la question devient de savoir comment construire ce nouveau système de défense aérienne dont nous aurons besoin pour protéger les forces au sol ? Lorsque vous abordez le sujet, vous êtes immédiatement confrontés à des commentaires absurdes, du genre « les chars sont obsolètes, la guerre blindée est terminée ». On entend cela depuis que les premiers chars ont dévalé sur le front ouest contre les Allemands. Les chars, les véhicules de combat blindés, sont comme tout autre équipement : ce sont des plateformes qui fournissent quelque chose, à savoir une protection, une puissance de feu précise et dévastatrice, et de la mobilité. Voilà tout. Maintenant, ce que vous en faites et à quoi ils ressemblent est une toute autre question.
Je pense que nous allons devoir changer la façon dont nous concevons ces équipements afin de leur garantir une meilleure protection. Une partie de cette protection peut être assurée par la dispersion des forces, réduisant ainsi les cibles attrayantes, mais cela ne suffit pas, car elles peuvent toujours être repérées. La simple dispersion ne sera donc pas suffisante. Il faut que ces plateformes soient équipées de capteurs et de dispositifs capables de protéger les personnes à l'intérieur. Et pour le soldat qui doit se déplacer à découvert, je trouve pour le moins surprenant qu’on continue à dire que les chars ou les véhicules de combat blindés sont obsolètes et que tout le combat de front se fera désormais par des hommes à pied armés de fusils. Ça me parait une idée très risquée.
Nous avons déjà vécu ça pendant la Première Guerre mondiale. On insistait sur le fait que la charge à la baïonnette permettrait à tout le monde d’avancer, qu'une loi remplaçait de bonnes tactiques et un leadership capable. C’est à cause de telles idées que nous avons perdu des millions d'hommes. Je ne pense donc pas qu'on puisse tout éliminer. Ce qu'il faudra faire, c'est réorganiser, rééquiper et redistribuer les capacités. Mais il est essentiel d'inclure des mesures défensives significatives de manière organique.
Certaines de ces mesures peuvent être passives, d'autres actives. C'est là où nous en sommes actuellement. Et la même chose est vraie en mer. En fait, je dirais que c'est pire en mer. Les navires de surface actuels sont dans une situation très, très dangereuse. Pendant de nombreuses années, dans la marine américaine, nous avions un vieil adage : il n'existe que deux types de navires : les sous-marins et les cibles.
Aujourd'hui, je dirais que c'est encore pire, car si vous essayez de traverser l'Atlantique, vous serez détecté par de nombreux capteurs, au-dessus et en dessous de l'eau. En vous approchant du plateau continental, vous alertez les capteurs, et il y aura ce que j'appelle des « traîneaux à torpilles », dont j'avais parlé il y a des années. Des traîneaux de missiles reposent sur le fond marin, et le capteur détecte la cavitation – autrement dit, je pense que vous diriez « cavitation », le mouvement des hélices – identifie la cible et tire automatiquement une arme.
Cela ne prend même pas en compte les batteries de missiles, de roquettes, et autres systèmes sans équipage déployés à terre, prêts à être lancés.
Imaginez l'impact pendant la Seconde Guerre mondiale si des milliers de systèmes sans pilote avaient fait des allers-retours à travers l'Atlantique Nord. Les sous-marins auraient trouvé toutes leurs cibles, et aucun navire de surface n'aurait pu naviguer. C'est le problème de notre planification actuelle aux États-Unis : nous continuons de prévoir le déplacement de centaines de milliers de troupes à travers de vastes océans. Ces temps sont révolus. Nous ne viendrons pas. Si nous essayons, nous serons coulés.
Il s'agit d'un changement de paradigme colossal, aussi important que ce qui s'est passé au début de la Première Guerre mondiale avec l'artillerie à tir rapide, les mitrailleuses et les barbelés. Nous n'avons pas encore toutes les réponses. Cela ne signifie pas que tout est devenu totalement inutile et que nous devons maintenant investir des millions pour des combinaisons de style Starship Trooper permettant de nous projeter partout sur le champ de bataille. Ce serait inabordable et impraticable. Mais vous avez raison. Nous sommes les victimes d'un changement de paradigme auquel nous avons largement contribué.
Nous l'avons vu se dérouler avec beaucoup de succès en Ukraine de la part des Russes. Est-ce également dû à la prolifération de la technologie des missiles ? Car nous voyons, par exemple, que les Houthis... tiennent en respect à la fois la marine américaine et celles de l'OTAN, y compris la marine française. Des gens en sandales, mâchant des herbes toute la journée. Les Houthis, il n'y a aucun moyen qu'ils aient développé cela par eux-mêmes.
French Invaders : Est-ce une sorte d'escalade horizontale ?
Col. MacGregor : Bien sûr, absolument. Mais je pense que le point clé pour les auditeurs est de comprendre que l'accès aux capacités de frappe de précision, l'accès à la microcirculation de précision, la microcirculation qui permet cette précision, est désormais accessible partout dans le monde. Et la qualité des missiles, des propulseurs solides et des ogives s'est considérablement améliorée.
Ainsi, on peut prendre un groupe de personnes comme les Houthis, qui n’ont même pas le statut d’État-nation, et leur donner un pouvoir énorme, ce qui est précisément ce qui s'est produit. Et cela va se reproduire partout. Au Pentagone, nous avons cette expression : « environnement contesté » contre « environnement permissif ».
Et quand vous défiez la mission du corps des marines, c’est-à-dire la guerre amphibie, tout le monde admet tranquillement qu'on ne peut l'utiliser que dans des environnements permissifs. Mais cela va, car 80 à 90 % du monde serait permissif.
Ce n'est pas tout à fait vrai. L'idée que l'on puisse rassembler une force de débarquement amphibie à 80 ou 90 kilomètres des côtes pour ensuite approcher furtivement une zone ouverte et disponible pour débarquer les troupes est révolue.
En fait, si vous êtes intelligent et disposez de capacités de frappe de précision, vous attendez que toute la force amphibie soit assemblée, puis vous la coulez. Et encore, vous n'avez même pas besoin de la couler. C'est une autre méprise. Vous pouvez simplement l’endommager au point qu'elle devienne complètement inutilisable. La faculté d’immobiliser un porte-avions a été démontrée par les Houthis. Combien de trous faut-il dans le pont supérieur pour que vous ne puissiez plus lancer d’avions ? Pas beaucoup.
French Invaders : Quel est l'état actuel de l'armée américaine ?
Col. McGregor : Vous avez d'autres questions faciles avant celle-ci ? Non ? Je plaisante. Vous savez, cela dépend de la personne à qui vous parlez. J'ai encore beaucoup de contacts au sein de l'armée, un peu avec les marines et, franchement, beaucoup avec la marine, car j'ai travaillé en coulisses pour le secrétaire de la marine en 2007 et 2008. Je vous dirais que notre marine est en très grave difficulté. Elle est en train de se cannibaliser pour garder son équipement opérationnel et ses navires en état de marche. Comment dites-vous “cannibalisation” en français ?
French Invaders : Cannibalisation…
Col. McGregor : C’est ça. C'est un problème parmi d'autres. Vous avez une pénurie en termes de nombre de missiles disponibles, des différents navires lance-missiles. Cela signifie que vous pouvez manquer de munitions très rapidement. Vous savez, on plaisante parfois en disant que nous avons une armée de deux semaines. Après deux semaines, nous n'avons plus de munitions, nous ne pouvons pas nous réapprovisionner, nous ne pouvons pas tenir, et la guerre doit se terminer. Ça n’est d’ailleurs pas nouveau. Ainsi, en août 1914, on avait demandé au chef de l’Etat français combien de temps durerait la guerre. Six mois, avait-il répondu. Pourquoi ? Parce que c'est quand les coffres seraient vides.
Malheureusement, nous avons injecté de l'argent partout pour prolonger la guerre. C'est ainsi que l'Amérique est devenue très riche pendant la Première Guerre mondiale. Il aurait été plus humain de dire que personne ne recevrait rien. Mais c'est une autre histoire.
La situation est similaire aujourd'hui. On tente de faire fonctionner des groupes de bataille de porte-avions à des milliers de kilomètres des États-Unis. Il n'y a qu'une poignée de ports où ces navires peuvent se ravitailler, réarmer et se réapprovisionner. Ces navires se déplacent très lentement et ont tendance à rester dans certaines zones, traçant des carrés dans l'océan. Ils ne sont pas difficiles à repérer, faciles à identifier, et ont une portée limitée.
La différence entre un avion qui décolle d'une base aérienne au sol et un autre qui décolle d'un porte-avions est énorme. Cela signifie donc que vous avez besoin de beaucoup de ravitailleurs en vol. Par exemple, nous avons presque tous nos ravitailleurs disponibles actuellement au Moyen-Orient.
Et même si vous pouvez décoller depuis une base terrestre, elle doit, pour des raisons de sécurité, se situer au moins à 2 400 kilomètres de l'Iran, car les Iraniens peuvent localiser la base aérienne et la frapper avec des missiles, et cette distance devra probablement être augmentée si des missiles sont lancés depuis le sud du Yémen.
En d'autres termes, le monde entier a changé, mais nous, non. Et la marine n'est pas vraiment prête pour une guerre totale. Elle a un problème de recrutement terrible et de gros problèmes de moral.
C'est donc une des choses qui nous préoccupent : si nous sommes perçus comme plus faibles que ce que les gens pensent, cela marque vraiment le début de la fin de notre soi-disant hégémonie militaire. L'hégémonie militaire repose autant sur la perception que sur la réalité. Et en ce moment, dans la plupart du monde, beaucoup de gens pensent que nous sommes invincibles et invulnérables, mais ce n'est pas le cas. La marine, en particulier, est en très grand péril.
French Invaders : L'OTAN est-elle finie ?
Col. McGregor : Encore une question facile ! Je le pensais quand cette crise a commencé. Je dois être honnête. En janvier 2022, Dimitri Symes m'a posé cette question dans un échange pour le Center for National Interest : « Colonel McGregor, que pensez-vous qu'il se passera si nous nous impliquons aux côtés des Russes en Ukraine de l'Est et que nous essayons de soutenir l'Ukraine ? » J'ai répondu que l'OTAN est finie. L'OTAN a toujours été conçue comme une alliance défensive.
Et en tant qu'alliance défensive, l’OTAN faisait sens. Au début, elle n’avait que très peu de membres, ce qui avait également du sens. Mais plus les rangs de l’OTAN grossissent, plus la zone à défendre devient vaste, et plus l’alliance s’affaiblit. Soudain, vous devez être partout à la fois, ce qui est impossible.
A cet égard, rappelons qu’en 1955, Eisenhower avait salué la neutralité de l'Autriche. Quelle aubaine, affirmait-il. Et d’ajouter que nous devions aussi essayer de pousser la Pologne et d'autres pays d'Europe de l'Est vers un statut de neutralité, car nous n'avions tout simplement pas les forces, les ressources ni les capacités de défendre partout.
Or aujourd'hui, grâce au changement de paradigme que nous évoquions, les choses ont évolué en notre faveur. Nous avons désormais la capacité d'atteindre des endroits auparavant hors de notre portée et d’avoir des yeux partout en permanence. Il s'agit simplement de déplacer des satellites pour assurer une couverture.
Ainsi, la probabilité d'être surpris est en soi faible. Cependant, cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas faire d'erreurs de calcul. Et on ne compte plus le nombre de ces erreurs, tout simplement parce que les personnes qui analysent les renseignements ne les aiment pas, refusent d'y croire ou ne les comprennent pas. C'est un autre problème, et c'est un vrai problème dans nos forces armées.
Et je ne pense pas que nous soyons les seuls. Mais en ce moment, je dirais que l'OTAN ne tient plus qu’à un fil. Et encore une fois, comme nous l'avons déjà évoqué, c'est quelque chose contre lequel Charles de Gaulle nous a toujours mis en garde, nous et ses homologues européens : « Regardez, premièrement, les Américains ne vivent pas en Europe. Deuxièmement, la Grande-Bretagne est une île. Troisièmement, vous ne pouvez compter que sur vous-mêmes, organisez-vous efficacement. » Il avait raison.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Et il devient urgent pour les Européens d’effectuer ce travail d’introspection.
Ajoutons que l'alliance de l'OTAN a toujours été trop large dans le sens où tout le monde ne partage pas la même vision des menaces et des problèmes. Les priorités varient d'un pays à l'autre.
Lorsque j'étais au quartier général des puissances alliées en Europe, j'ai mentionné lors d'une discussion que nous devrions commencer à regarder vers le sud, vers l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient pour anticiper les problèmes, et cesser de nous concentrer sur l'Europe de l'Est.
J'ai dit : « Je ne vois guère de menace provenant de la Russie. Et tant que nous nous élargissons pas davantage, nous n'aurons aucun problème avec la Russie. » Les officiers français, espagnols et italiens étaient entièrement d'accord. Mais personne n'a écouté. Nous étions tous concentrés sur autre chose, principalement à cause des États-Unis et de la Grande-Bretagne.
Donc, je pense que l'OTAN ne va pas disparaître à grand fracas, mais plutôt à bas bruit. Les gens cesseront de se présenter dans les bureaux de l’OTAN. Il deviendra un bâtiment vide à Bruxelles. Et ce quartier général à Mons ne signifiera plus grand-chose quand les États-Unis ne fourniront plus la colonne vertébrale de commandement et de contrôle ISR pour l'alliance. Ce qui, je pense, va également arriver.
Nous constatons aussi au sein de l'OTAN, tout comme dans l'UE d'ailleurs, que ce sont des pays plus petits et relativement insignifiants d’un point de vue militaire, comme les Etats baltes, qui mènent la danse. C’est là une situation extrêmement dangereuse.
A ce sujet, rappelons ce qui s’est passé en 1879, lorsque l’Allemagne a connu une poussée de sentiment nationaliste qui s’est matérialisée par un appel à marcher sur la Russie afin de libérer les États baltes, qui, à cette époque, étaient regroupés. En Allemagne, on les appelait le « Kulag», et ils avaient été dominés par les Suédois ou les Allemands pendant un millier d'années. Un grand nombre de protestants vivaient alors en Estonie et en Lettonie, ainsi bien sûr qu’en qu'en Finlande, alors que la Lituanie était plutôt catholique en raison de nombreuses conversions. Mais, au fond, tous ces États étaient très amicaux envers les Allemands car ils faisaient des affaires avec les Allemands. Non parce que, comme le rêvaient les nationalistes allemands, ils se sentaient opprimés par le tsar.
Cet appel a provoqué une colère furieuse de Bismarck. Tout ceci est absurde, s’emporta-t-il. « Nous ne voulons pas la guerre. C'est scandaleux. Les Russes n'oppriment pas ces gens. Ces gens veulent être indépendants, mais comment pourraient-ils se gouverner eux-mêmes ? Ils n'ont jamais été autonomes. » Cela devenait très dangereux.
Finalement, le roi de Prusse, qui était également l'empereur allemand, a rencontré Alexandre, qui n'était peut-être pas encore Alexandre III, peut-être Alexandre II, et l'a embrassé quelque part à la frontière entre la Prusse orientale et la Russie. Ils se sont dit : « Nous n'entrerons pas en guerre l'un contre l'autre, quoi que veuillent nos peuples. » Il faut aussi préciser que les Russes étaient animés par ce nationalisme qui prônait l'unification de tous les Slaves et l'écrasement des Allemands.
Les deux monarques ont dit : « C'est insensé. Nous ne voulons pas de cela. » Qu’il est regrettable qu’il n’y ait eu personne d’aussi raisonnable en 1914.
Au final, Bismarck est parvenu à convaincre le parlement à Berlin. Les députés voulaient la guerre. Bismarck a persuadé Helmut von Moltke, le grand vainqueur des guerres d'unification, de s'adresser au parlement. Celui-ci y est allé et a dit très fermement : « Premièrement, nous n'avons pas besoin de territoire. Deuxièmement, les Russes n'ont pas d'or. Troisièmement, nous avons déjà trop de Polonais dans notre pays. Nous ne voulons personne d'autre. » C’est ainsi que Moltke a emporté l’adhésion de ses collègues, et que les tensions sont retombées.
Presque personne ne raisonne aussi sobrement aujourd’hui. La vérité est que les Lituaniens, les Lettons et les Estoniens ne sont pas plus maltraités aujourd’hui qu’ils ne l'étaient à l'époque. Les Finlandais non plus. Tout ceci est une pure invention.
Or aujourd’hui, nous avons cette sorte de gueule de bois persistante de la Seconde Guerre mondiale. La Seconde Guerre mondiale était très, très différente. Ce que les Soviétiques ont fait en Europe de l’Est, en assassinant des millions et des millions de personnes en Ukraine, en Biélorussie, en Lituanie, en Lettonie, en Estonie et dans tous ces endroits, a eu un impact à long terme. Et il est difficile de faire comprendre aux gens que la Russie a changé.
L'Union soviétique a disparu. Cessons de confondre la Russie d'aujourd'hui avec cet empire disparu. Mais, vous savez, il est trop commode pour les gens qui veulent la guerre, la crise et le conflit d’adhérer à cette fausse image de la Russie.
Et il n’y a pas aujourd’hui de personnes lucides comme Bismarck pour se lever et nous dire la vérité.
French Invaders : D'abord, colonel McGregor, je voulais vous dire combien nous sommes honorés de vous avoir sur le podcast. J'écoute vos analyses depuis longtemps. Je les ai découvertes à travers les podcasts de Dave Smith et Scott Horton, entre autres. C'est vraiment un honneur de vous avoir.
Puisque vous parlez de cette gueule de bois persistante de la Seconde Guerre mondiale et de cette stratégie suicidaire de la puissance hégémonique américaine, je voulais simplement mentionner une longue analyse récemment écrite par Condoleezza Rice, que je pense être un rappel de tout ce qui est imprudent dans cette politique étrangère américaine remplie d'hubris.
Un auteur talentueux sur Substack nommé Niccolo Soldo appelle cela la "turbo Amerique". Il entend par là qu’au moment même où la domination militaire des États-Unis est remise en question de l'intérieur, en raison du défi technologique qui se pose aux Etats Unis pour faire face aux nouvelles réalités de la guerre et du monde, avec des États-Unis de plus en plus isolés face à une rébellion mondiale contre la suprématie américaine, l'Amérique double la mise. Soldo définit la « turbo-Amérique » par la volonté des États-Unis de s’attaquer à la fois aux menaces posées par la Chine et la Russie simultanément.
Cela me semble être une stratégie suicidaire, d’abord de transformer un rival économique, la Chine, en un ennemi géopolitique pur et dur, un ennemi géostratégique. Et, en même temps, de réactiver une nouvelle guerre froide, une guerre froide 2.0, cette fois impliquant la Chine et la Russie et en réétiquetant la Russie comme la nouvelle incarnation de l'Union soviétique. Je voulais simplement connaître vos réflexions à ce sujet.
Col. McGregor : Je pense que votre analyse est malheureusement en grande partie correcte.
Au lieu de voir les Brics – ce groupe incluant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l'Arabie saoudite – et son développement comme quelque chose auquel nous devrions nous adapter, nous le voyons comme l'ennemi. J'ai même entendu l'ancien président Trump parler de punir les pays qui refusent d'utiliser le dollar pour échanger certaines matières premières. C'est absurde.
Il y a une réticence générale aux États-Unis. Quand je dis aux États-Unis, je devrais préciser quelque chose. La plupart des Américains, pour l’essentiel du temps, se moquent de ce qui se passe au-delà des frontières des États-Unis. Les Européens sont toujours choqués par la piètre qualité de l'éducation que nous dispensons aux citoyens américains, et ils ont raison de l'être. L'une de ces lacunes les plus patentes est la géographie. Personne ne se soucie vraiment de ce qu'il y a au-delà du Mexique ou du Canada.
C’est loin d’être nouveau et, malheureusement, cela nous a mené dans des guerres que le public américain n’aurait jamais soutenues s’il avait été consulté et si on lui avait exposé les questions épineuses qui se posent derrière ces conflits. Nous ne serions jamais partis en guerre en 1917 si les gens avaient vraiment vu ce qui se passait en Europe, s’ils avaient su qui faisait quoi à qui. Ils ne le savaient pas, ils ne comprenaient rien de tout cela.
Les mêmes phénomènes se sont reproduits à l’approche de l’entrée dans la Seconde Guerre mondiale. En règle générale, les Américains ne s’intéressent pas à ce genre de choses. Mais elles passionnent en revanche un très petit groupe de personnes qui brassent beaucoup d’argent, et qui dominent Washington, à l’intérieur du Beltway, comme on dit ici.
Les gens parlent souvent de l’industrie de la défense, des divers lobbys. Mais il n’y a pas qu’un seul lobby agissant, et ceux-ci disposent d’une quantité infinie d’argent se traduisant par de l’influence politique et du pouvoir. Je dis souvent que Washington est sous un régime d’occupation des donateurs.
En d'autres termes, peu importe ce que pensent les habitants de l'ouest de la Pennsylvanie, car personne dans cette région aujourd'hui n’a d’appétence pour la guerre, où qu’elle se déroule. Franchement, la population américaine ne veut plus entendre parler de guerres. A la rigueur, si vous leur posez la question, ils diront peut-être qu'on devrait faire quelque chose contre les cartels de drogue mexicains. Mais vous en conviendrez, c’est là une question complètement différente. Les Américains veulent qu’on défende leurs frontières. Ils veulent mettre un terme à l'immigration clandestine et lutter contre la criminalité. Personne ne veut partir en guerre pour quelque raison que ce soit. Mais cela n'a pas d'importance. Car l'argent s’entasse dans les poches des membres du Congrès qui votent dans le sens souhaité par les donateurs.
Pourquoi font-ils cela ? Nous arrivons au fondement de votre question. Parce que leur vision du monde est dépassée. Ils pensent que nous sommes toujours en 1991. Ils n'ont pas compris que le monde a évolué de toutes sortes de manières nouvelles et intéressantes.
Ils n'ont pas compris que, pendant la grande majorité des 2 000 ou 2 500 dernières années, la Chine a toujours été le pays le plus riche du monde. Ce qui est l'une des raisons pour lesquelles, au cours des cinq cents dernières années, elle a été gouvernée par des étrangers pendant presque trois cent quarante de ces années. Elle a été constamment envahie, opprimée et exploitée par diverses tribus turco-mongoles, puis par les Européens, et enfin par l'armée impériale japonaise.
Or vous savez, les Américains ne connaissent rien de tout cela. Et les Chinois n'ont absolument aucun intérêt à s’étendre. Les Chinois vivent au centre de l'univers. Demandez-leur, ils vous le diront. C'est leur culture. Mais ce n'est pas une culture martiale. Ce n'est pas une culture militaire agressive. Il y a une tendance à associer la Chine moderne au Japon des années 30, mais cela n'a absolument rien à voir.
Un autre problème se présente à nous. Comment faire comprendre aux gens que ce que vous avez vu en 1991 n'était pas le début de quelque chose, mais la fin de quelque chose ? C'était la fin de la guerre froide. C'était la fin d'une vieille manière de faire la guerre. En 1991, nous avons en effet essentiellement rejoué la Seconde Guerre mondiale. Ce n'était pas la réponse pour l'avenir. Le problème est que l'ennemi que nous affrontions alors n'était pas particulièrement fort. Et en peu de temps, nous avons pu maîtriser la situation et infliger une défaite à l'ennemi. Le fait que nous n’ayons pas su quoi faire après notre victoire, et que nous nous soyons simplement retirés en laissant derrière nous le chaos est une autre question. L’essentiel est que personne n'a compris ce qui s'était réellement passé. Ce n'était pas le début de quelque chose de nouveau. C'était la fin de quelque chose.
Si vous aviez observé les évènements depuis la Russie ou d'autres pays, vous vous seriez nécessairement dit qu’il fallait désormais faire les choses différemment à l'avenir. Nous ne pouvons pas affronter les Américains sur ces bases-là, ont-ils du se dire. Et ces observateurs ont donc commencé à explorer de nouveaux domaines.
Et franchement, là où nous avions un monopole de pouvoir, de contrôle et d'influence, notamment sur les microcircuits et les micro-puces avancées qui permettent la précision, nous l'avons perdu.
Et une fois que cela a été perdu et que tout le monde y a eu accès, le reste du monde a pu reconquérir une sorte de souveraineté militaire.
J’entends des gens se demander pourquoi les Iraniens n’ont pas une grande armée de l'air. Pourquoi les Iraniens n’ont-ils pas une grande marine ? Les gens sont stupides. Ils ne comprennent pas. À quoi cela servirait-il aux Iraniens ? Pourquoi investiraient-ils de l'argent dans ces secteurs ? Pourquoi s’acharneraient-ils à former des pilotes pour des milliers d'avions haut de gamme qui seront de plus en plus abattus par des défenses aériennes de plus en plus performantes, des radars de plus en plus efficaces, grâce à des microcircuits toujours plus avancés ?
C'est donc le plus gros problème. Lorsque j’ai posé ces questions à l’intérieur du Beltway, on m’a le plus souvent rétorqué : “je ne suis pas du tout d’accord avec vous, Colonel McGregor. Je pense que nous avons les meilleures forces armées du monde”. Affaire classée. C’est considéré comme un crime de lèse-majesté de dire que les forces armées ne sont pas dans la meilleure condition.
French Invaders : Je pense que vous avez fait une transition parfaite vers les élections qui approchent dans deux semaines. Pensez-vous que l'issue de cette élection nous offre une réelle chance de voir la fin de ce que vous avez appelé les "guerres de vanité" ? Ou de ce qu'on appelle la “guerre éternelle”, d'après le roman de Joe Haldeman dans les années 70. Y a-t-il un espoir de réalignement ? Y a-t-il un espoir que la nouvelle administration favorise réellement la patrie et les nombreux problèmes qui l'affectent, plutôt que l'expansion illimitée de l'empire américain ?
Col. McGregor : Je pense qu'au départ, peu importe qui gagne, même si je suis de plus en plus convaincu que Trump remportera probablement la victoire, en dépit des tentatives de fraude électorale. Trump est soutenu par de puissants donateurs. Or soyons honnêtes, la plupart de ceux qui injectent beaucoup d’argent dans sa campagne sont juifs et ils sont motivés par une seule cause : Israël. Et il a promis de soutenir Israël et de financer tout ce qu'Israël veut entreprendre.
Par ailleurs, je pense que Donald Trump a toujours été sceptique à l'égard de l'OTAN. J'ai eu une conversation privée avec lui, et je peux vous dire que mon argument, auquel il a adhéré, était que les Européens devaient être leur première force d’intervention. Vous devez comprendre que toutes nos institutions, tous les think tanks, qui sont l’oxymore de Washington, sont tous ancrés dans le passé.
Vous parlez de vanité ? Tout ce qu'ils font est motivé par la vanité nationale : maintenir toutes les alliances existantes, maintenir tous les accords existants. En réalité, tout cela devrait être discrètement abandonné. Nous devrions vivre dans un nouveau monde et cesser de voir quiconque comme un ennemi.
Mais personne ne veut s’avancer dans cette direction. Je suis convaincu qu'en privé, le président Trump aimerait s'engager dans cette voie. Mais le point d'achoppement pour lui, bien sûr, est la question du Moyen-Orient. Et j'ai le sentiment que cette guerre va s'intensifier et empirer avant l'élection pour probablement empêcher toute possibilité d’une... comment dire ? d’un apaisement des tensions, quelque chose dans ce genre, d'un quelconque cessez-le-feu. Ainsi, Trump sera mis devant le fait accompli d’une nouvelle guerre en arrivant au pouvoir.
C’est alors que les généraux des armées de l’air, de la marine et de l’armée de terre lui dresseront un état des lieux sincère et sans équivoque sur ce que nous pouvons vraiment faire et ce que nous ne pouvons pas faire. Le tableau sera dantesque parce que ces hommes mentent depuis des années sur où va tout l'argent et à quel point nous sommes puissants. Soudain, ils se trouveront à découvert, sans aucun endroit où se cacher. Nous verrons alors comment Trump réagira.
Mais il y a un autre paramètre crucial au-delà de la politique étrangère. Je veux parler de l'énorme pression à l'intérieur du pays. Les gens en ont assez. Ils veulent de l'action. Et ce gouvernement nouvellement élu sera dans l’incapacité d’agir significativement, quel qu’il soit. Le type de réponse dont ce pays a besoin est comparable à ce qu'a fait Cromwell en Angleterre. C'est un fait.
Et très peu de gens dans ce pays comprennent qu'on peut tracer une ligne droite d'Oliver Cromwell à George Washington et de George Washington à Abraham Lincoln. Ils étaient tous très similaires : mêmes origines, même culture, même vision de la vie. Et ces trois hommes ont mis en place des dictatures pour réussir.
Vous savez, Washington est devenu président malgré lui. Il ne voulait pas de ce poste parce qu'il était vraiment bon. Toute personne qui souhaite ardemment être président est probablement un monstre. Il faut quelqu'un qui ne veut pas du poste. Il ne voulait pas du poste, mais il l'a pris à contrecœur.
L'une des premières choses auxquelles il a dû faire face était les rébellions, principalement de la part des Indiens, et dans une certaine mesure dans l'ouest de la Pennsylvanie. Il a alors rappelé les anciens combattants car nous n’avions pas d’armée. Quand nous avons mis un terme à la guerre, il n’y avait plus d’armée. Il n'y avait pas de marine. Il n’y avait rien.
Alors il a rappelé les anciens combattants, puis il leur a donné des ordres. Vous allez marcher sur Pittsburgh. Vous allez gérer cela. Ensuite, vous allez marcher ici. Et au passage, si vous tombez sur des forts britanniques, des fortifications britanniques, des troupes britanniques, détruisez-les, tuez-les, sans exception.
Tous ces ordres ont été donnés sans consulter le Congrès. Tout a été financé sans consulter le Congrès. En d'autres termes, il comprenait que nous étions dans une position vulnérable et que nous devions rapidement écraser les problèmes à nos frontières et à l'intérieur de notre pays, car nous devions projeter une image d'unité et de force.
Aujourd'hui, personne ne parle du mépris total de Washington pour la Constitution et des mesures qu'il a prises. Mais c'était nécessaire.
Et cela s’est repoduit. C'est exactement ce qu'Abraham Lincoln a également fait.
Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une situation où nous avons au moins 52 millions de personnes vivant à l'intérieur de nos frontières qui ne sont pas nées dans ce pays. Combien de ces personnes sont-elles en situation illégale par rapport à ceux qui sont légalement sur le territoire américain? Je ne le sais pas, mais nous parlons d’un nombre énorme.
Et je dis souvent aux gens qu'entre 1815 et 1924, lorsque nous avons mis un terme à l’accueil sans limite des immigrants, seulement 32 millions de personnes sont venues dans ce pays. Et sur ces 32 millions, plus d'un million sont repartis chez eux. La plupart de ces derniers étaient des Européens de l'Est et du Sud, pas des Européens de l'Ouest, ils ne pouvaient pas s'assimiler. Cela témoigne de combien notre société était forte.
Mais si on fait les comptes, on se rend compte que cette immigration représentait quelques milliers tous les six mois. C'est facile à gérer.
Depuis que Ronald Reagan a accordé l'amnistie et permis à plusieurs millions de Mexicains de rester dans le pays, ce précédent a constitué un grand appel d’air pour que tout le monde fasse de même. Et nous n'avons pas appliqué nos propres lois. Nous avons été très laxistes à ce sujet.
Aujourd'hui, nous faisons face à un énorme problème. Et la question est de savoir comment le résoudre. Or il sera très difficile pour cette république de rester dans les limites de ses lois et de ses droits et de résoudre ces problèmes. Or nul secours ne viendra du Congrès, car, rappelez-vous, les membres du Congrès ont des sources de revenus qui n'ont rien à voir avec les intérêts des États-Unis, et ils votent pour les personnes qui les financent. C’est là le problème.
Dans ce contexte, l’identité du vainqueur des élections importe peu, dans la mesure où les problèmes internes que nous avons sont si accablants qu'ils vont inévitablement, d'ici un an environ, submerger notre politique étrangère et de défense. Nous ne pourrons plus intervenir à l'étranger. Le moment viendra où les gens en Allemagne vont se réveiller un matin et découvrir que tous les Américains ont levé le camp. Même chose en Corée. Même chose au Japon. Il n’y aura aucun effet d’annonce, aucun défilé. Ils partiront à bas bruit. Car nous ne pouvons pas nous permettre de rester et nous avons trop de problèmes chez nous.
Mais disons que Trump est élu. Il va y avoir une période de transition. Quoi qu’il souhaite mettre en œuvre...
French Invaders : Ne pensez-vous pas qu'il devra, dans une certaine mesure, faire le ménage dans le gouvernement fédéral ?
Col. McGregor : son premier obstacle sera la bureaucratie fédérale et le Congrès. Il va essayer de nommer plusieurs personnes à des postes clés afin de faire avancer les choses. Certaines de ces personnes seront confirmées. La plupart de celles dont il parle actuellement ne feront pas grand-chose. En d'autres termes, nous ne sommes pas à l’aube de la prise de possession de l’administration fédérale par une équipe de rebelles résolument engagés envers les États-Unis, coûte que coûte. "L'Amérique d'abord", sauver le pays, faire avancer les choses. Je ne vois pas ce genre de personnes prendre leurs fonctions.
Ils peuvent prononcer de beaux discours, mais au-delà, je crois que ce sera business as usual.
Dans environ six mois, je pense que nous allons assister à une certaine paralysie. La nouvelle administration parviendra à prendre quelques mesures, mais la plupart des mesures nécessaires seront stoppées. Le Congrès va freiner des quatre fers. Un ami m’a appelé juste avant que je vienne dans cette émission et m’a dit : “as-tu entendu ce que Biden a dit en privé sans se rendre compte qu’il était sur un micro et qu’il a été entendu ? J’ai dit, non, je n’en ai pas entendu parler. Qu’est-ce qu’il a dit ? Il a dit que peu importait ce que Trump ferait. Il n'arrivera à rien. Tout le monde s'opposera à lui. Alors laissons-le être élu. Il n’aura aucun impact”.
Je suis loin d’être un fan de Biden, mais je pense qu’il dit la vérité.
La dernière fois, Donald Trump n’a pas compris deux choses. Premièrement, il n’a pas saisi qu’il n’avait aucun ami dans la capitale. Tout le monde était son ennemi. Et deuxièmement, il n’a pas réalisé l'autorité et le pouvoir qu'il détenait. Et il ne les a pas utilisés. Quand il a commencé à s’en rendre compte, il était trop tard. Autrement dit, la période d’apprentissage sur le tas était trop longue.
C’est un gros problème pour nous.
Vous savez, je me suis récemment exprimé devant un auditoire, et les gens dans la salle m’ont demandé : “de quoi un président a-t-il besoin ?” Et j’ai dit : “je pense qu’un président doit avoir de l’expérience en économie. Il doit connaître le système international, savoir comment il fonctionne et qui en sont les acteurs. J’ai aussi dit qu’il devait avoir une expérience de l’armée, comprendre comment elle fonctionne, comment elle est commandée, ce qu'elle peut et ne peut pas faire. Et j’ai ajouté qu’il lui faut une expérience politique nationale, car c’est ainsi qu’on est élu aux États-Unis”.
Ils m’ont alors demandé : “qui possède ces trois premières compétences ?”
“Personne”, ais-je répondu.
Mon auditoire s’est alors exclamé que la seule expérience dont ils disposent à Washington est l’expérience en politique nationale.
“Oui”, ais-je concédé. Nous élisons des anciens gouverneurs, des homme d’affaires aguerris, des sénateurs etc. Mais nous ne sommes pas regardants sur les trois premiers critères, à savoir le système international, l'économie et l'armée.
Ils m’ont alors demandé qui, au cours des 60, 70 dernières années avaient ces compétences ?
“Eisenhower”, ais-je répondu. Seul Eisenhower avait les trois premières compétences, mais il ne possédait aucune expérience politique nationale. Dès lors, il a embauché des gens qui l’avaient. C’était possible. Mais embaucher les bonnes personnes pour les relations internationales, l’économie et l’armée est une entreprise très difficile.
Très vite, on se retrouve aveuglé, induit en erreur. C’est exactement ce qui s’est produit avec Trump la dernière fois. Je suis donc plein d’espoir, mais je ne suis pas déraisonnablement optimiste.
French Invaders : ce que vous dites me parait de nature, certainement pas à être optimistes, mais à entretenir l’espoir. Vous semblez suggérer que les problèmes auxquels est confrontée la patrie américaine sont si accablants qu'une détente, d’une certaine manière, ou une désescalade des tensions géopolitiques avec la Russie et la Chine pourrait se produire, sinon par dessein, au moins par défaut. Ne serait-ce pas déjà une bonne nouvelle que nous nous tournions vers notre propre pays, même si c’est à cause d’une situation intérieure désespérée, plutôt que de rester dans une escalade massive qui nous mène, disons-le franchement, tout droit vers la Troisième Guerre mondiale ?
Col. McGregor : Oui. Vous savez, la plupart des gens à Washington sont convaincus par l'argument que si nous ne sommes pas présents en Europe, si nous ne sommes pas présents en Asie, si nous ne sommes pas présents partout, d'une manière ou d'une autre, le monde entier va s'effondrer et commencer à s'entretuer.
Je ne saurais être davantage en désaccord avec cette proposition.
Je pense que nous nous sommes trop longtemps ingérés dans trop d'endroits, causant plus de mal que de bien. Mais ce n'est pas un argument populaire, et personne ne veut se lever et le clamer à la face du peuple américain, qui croit que tous nos militaires sont des héros qui parcourent le monde pour libérer tout le monde. Et quand on essaie de leur dire la vérité, beaucoup d'entre eux ne veulent pas l'entendre.
Mais je vois des preuves que les gens commencent à comprendre. Le Vietnam ? Une catastrophe. Et regardons tout le reste. L'Irak ? Une catastrophe. Les Balkans, selon moi, une catastrophe. Nous n'avons rien résolu.
Et nous avons créé un nouveau statu quo artificiel qui ne peut exister sans une implication militaire massive de l'OTAN. Et nous nous sommes aliénés les Russes. Cela a été le début des mauvaises relations avec la Russie. Et nous partons du principe que nous sommes les plus grands, les meilleurs. Peu importe ce que le reste du monde pense, nous pensons avoir toutes les réponses. Cet état d’esprit n'a pas encore disparu. Il va disparaître, mais pour les raisons que vous avez justement évoquées. Nous sommes dépassés par nos propres problèmes chez nous.
Quand on me demande quand les Britanniques ont-ils quitté l'Inde, je réponds par une autre question : “quand, pensez-vous que les Britanniques auraient dû quitter l'Inde ?” La plupart des Britanniques diront qu'ils auraient dû partir au moins dans les années 30, ou quelque chose comme ça. Je dis : “oui, ils auraient dû partir après la Première Guerre mondiale, certainement.”
Mais qu'ont-ils fait ? Ils sont restés jusqu'à ce qu'ils soient financièrement ruinés, avec un ratio dette/PIB de 240 %. Et presque du jour au lendemain... du jour au lendemain, le grand joyau de l'empire britannique a été abandonné, littéralement abandonné. Les gens sont simplement partis. Et j'ai bien peur que ce soit ce à quoi nous sommes sur le point d’assister. Ce n'est pas la raison qui motive à faire quelque chose de sensé. Le pouvoir américain est tout simplement dépassé. Je vois cela venir. Je le crois vraiment.
Et je pense que c'est une très bonne chose.
Et l'Amérique a, disons, ignoré... quel est le bon mot ? négligé de prendre soin de ses propres besoins. Si vous êtes à Washington, D.C., et que vous voulez voir l'ampleur du problème dans ce pays, il vous suffit de monter dans le train, l'Amtrak, et de faire le trajet de Washington à Boston en regardant par la fenêtre. C'est une catastrophe. Je vois ça se détériorer depuis 40 ou 50 ans, de pire en pire. Ça me brise le cœur, vous savez, de voir les terribles conditions de ces villes, de ces zones urbaines, de ces usines abandonnées.
Nous devons résoudre cela. Sinon, nous sommes finis, point final. Et je pense que les Américains commencent à ressentir cela instinctivement. Je pense que dans son cœur, Donald Trump ressent cela. Mais le problème est que je ne pense pas que les élections vont le résoudre.
French Invaders : J'ai peut-être une dernière question, qui est plus personnelle. Mon beau-père est un colonel à la retraite de l’artillerie de défense aérienne. J’ai deux fils. Mon plus jeune fils a 13 ans et il admire beaucoup son grand-père et veut faire carrière dans l'armée. Je dois dire que ma femme et moi sommes un peu inquiets, étant donné ce que l'armée américaine est devenue : une force de chaos dans le monde, et non une force d'ordre. Quelle recommandation auriez-vous pour un jeune garçon qui souhaite embrasser une carrière militaire et pour ses parents inquiets face à cette perspective ?
Col. McGregor : mon fils aîné est sorti de l'Académie navale en 2007, mais il a trouvé la porte de sortie aussi vite que possible et a quitté la flotte de surface dans la marine. J’ai deux neveux, l’un est un pilote de la marine actuellement stationné à Naples, en Italie, où il pourrait être impliqué dans tout ce qui se passe en Méditerranée. Puis j’ai un autre neveu qui est lieutenant dans l’armée, qui vient de quitter un bataillon de chars et est en route pour Fort Bragg.
Donc je suis en contact avec des gens dans l'armée, et je me pose cette question tout le temps.
Nous n'attirons pas les meilleures personnes en ce moment. La qualité du corps des officiers a chuté de façon précipitée. Cela dure depuis un certain temps. Et beaucoup des meilleurs que nous avions, surtout dans l'armée, ont quitté le service entre 2007 et 2012.
Le problème est que toute institution n'est bonne que par la qualité des personnes qui la gèrent, ainsi que de celles qui la dirigent. Et je pense que la plupart des gens ont actuellement une opinion très basse de la qualité du commandement militaire supérieur, qui est hautement politisé. Et ils regardent une armée où tout compte sauf le caractère, la compétence et l'intelligence.
En d'autres termes, nous avons tendance à nommer, à recruter et à promouvoir des gens en fonction de leur apparence, de leur genre et de leur approbation servile des politiques de l'administration en place.
Ce n'est pas nouveau. Cela dure depuis plus de vingt ans. Je remonterais au milieu des années 90. En fait, même avant cela, lorsque le président Clinton est arrivé au pouvoir.
Je pense que si Charles de Gaulle était ramené à la vie et placé à la tête de la France, la première chose qu'il ferait serait de se rendre à Berlin, de saisir Scholz ou quiconque est aux commandes là-bas, et de dire : "Tu viens avec moi à Moscou." Et les deux s’envoleraient pour Moscou, où ils concluraient immédiatement un cessez-le-feu et règleraient définitivement la question des frontières : les Russes vivant en Russie et les Ukrainiens en Ukraine.
Ensuite, je pense qu'ils se tourneraient vers le Moyen-Orient, et je crois qu'il n'y aurait plus de livraison d'armes, d'équipements ou de munitions aux Israéliens tant que ceux-ci n'arrêteront pas le combat. Je pense que c'est ce qui se passerait, et c'est ce qui devrait se passer. Tout cela devrait cesser immédiatement.
Nous avons trop de problèmes pour nous en préoccuper, et il y a trop de risques que cette guerre au Moyen-Orient se propage vraiment. Les Turcs sont dans le nord de la Syrie, ils combattent des islamistes qui s’opposent à Assad. Les Russes sont en Syrie pour aider Assad. Les Turcs observent ce qui se passe au Liban avec horreur, car ils voient des millions de réfugiés se diriger vers eux qu'ils ne peuvent ni loger, ni nourrir, ni soutenir.
Les Iraniens ont en grande partie abandonné. Ils nous ont parlé. Ils ne se donnent plus la peine maintenant, car nous ne gardons pas secrètes nos discussions avec eux. Et maintenant, tous les États arabes se sont effectivement alignés avec l'Iran. Dans ces circonstances, je pense que laisser cette guerre se poursuivre serait un désastre. Et je crois que de Gaulle en arriverait à la même conclusion.
C'est le genre de leadership dont nous avons besoin en ce moment, mais nous ne l'avons pas.
Pour répondre à la question de votre fils, j'ai toujours eu une très haute opinion de l'armée française. J'ai travaillé avec eux. Je pensais qu'ils étaient excellents. J'ai eu la chance de connaître plusieurs personnes.
French Invaders : En fait, vous m’avez mal compris. Mon beau-père était dans les forces armées américaines, et mon fils est américain. En fait, je vis moi-même dans la région de DC, à University Park, près de l'Université du Maryland. Donc nous sommes presque voisins, en réalité. Et je suis moi-même citoyen américain.
Col. McGregor : s’il est ici, il peut voir par lui-même. Il doit parler avec des personnes en service actif en ce moment et leur demander ce qu'elles en pensent. Ce serait la meilleure chose à faire. Et je dis ça tout le temps aux gens qui me demandent « Alors, Colonel McGregor, pensez-vous que mon fils ou quelqu'un d'autre devrait s'engager ? » Et je réponds :”écoutez, je n’y suis plus. Cela fait longtemps que je n’y suis plus”.
Mais je peux vous dire que lorsque j’étais au quartier général du SHAPE, le Quartier général suprême des puissances alliées en Europe, j’avais un bon ami, un lieutenant-colonel de la Légion étrangère. Ses parents étaient pieds-noirs. Et il s’appelait, je crois, Philippe Gonzales, car sa famille était des Espagnols installés avec les Français en Algérie.
Philippe Gonzales était probablement l'un des meilleurs officiers, des plus intelligents et compétents que j'ai rencontrés. Nous avons eu de longues discussions à ce sujet. Nous sommes convenus que le problème auquel font face toutes les forces armées occidentales est que la discipline est insuffisante, gravement insuffisante. Cette carence a un effet désastreux sur nos forces armées. Elle est bien en dessous de ce qu'elle devrait être. Et la discipline ne signifie pas que l'on force quelqu'un à faire quelque chose. La discipline est une habitude. Et le secret du succès sur le champ de bataille est une pratique incessante et le développement des compétences et des réflexes automatiques nécessaires pour rester en vie. Cette discipline n'existe pas. Et la qualité du leadership est médiocre.
Et nous passons trop de temps à faire taire les gens pour ce qu'ils pensent au lieu d'être reconnaissants d'avoir des gens qui pensent.
Alors dites à votre fils de se pencher là-dessus et de bien réfléchir. Lui seul peut savoir si cela a du sens pour lui ou non.
French Invaders : Une dernière question : si Trump est élu, envisagez-vous un rôle dans son administration ?
Col. McGregor : Pas pour le moment, car ma position sur la guerre au Moyen-Orient n'est pas alignée avec celle de son administration. Dans ces circonstances, je pense qu’on me remerciera et qu'on me renverra.
Share this post