[ USAID ] United States Agency for Infringement on Democracy
John Kiriakou, ancien de la CIA, à propos de USAID finançant la culture du pavot en Afghanistan et d'autres joyeusetés.
United States Agency for the Infrigement to Democracy = Agence des Etats-Unis pour le mépris de la démocratie. Notre titre est moqueur.
USAID est l’acronyme de United States Agency for International Development.
Il s’agit de la traduction en français de notre interview en anglais de John Kiriakou, dont vous pourrez trouver l’original ci-dessous.
United States Agency for the Infrigement to Democracy.
No wonder China has no qualm exporting Fentanyl precursors to Mexico…
Il n'est guère étonnant que la Chine n’ait aucun scrupule à exporter les précurseurs du fentanyl vers le Mexique...
USAID n’est pas la CIA. Elle est peut-être encore pire. Alors que la CIA doit obtenir l'aval présidentiel et informer une poignée de membres du Congrès avant d'entamer une opération secrète —qu'elle soit de nature militaire, paramilitaire ou “civile”, comme les révolutions de couleur — l'USAID échappe à cette contrainte. Cela ne signifie nullement que tous les projet de USAID sont des opérations clandestines, mais plutôt qu'elle a agi à la fois comme bailleur de fonds et exécutant pour des missions clandestines. Il s’agit d’une méthode astucieuse et efficace pour s’exonérer de l’autorisation présidentielle et pour éviter le contrôle parlementaire, favorisant par là même la corruption.
John Kiriakou a passé 15 ans à la CIA. Recruté par un de ses anciens professeurs à l'université en tant qu'analyste, il a grimpé les échelons jusqu’à la prestigieuse direction des opérations. À la tête des opérations antiterroristes de l'agence de renseignement américaine au Pakistan après le 11 septembre, il a dirigé le commando qui a capturé Abu Zubaydah, alors considéré comme le n°3 d'Al-Qaïda. Après avoir quitté “la compagnie”, il dirigea le service d’enquêtes de la Commission des affaires étrangères du Sénat.
Lors d'une interview avec ABC en 2007, il a dévoilé l'ampleur du programme de torture de la CIA, confirmant que celui-ci recevait un soutien direct de la Maison Blanche. Malgré le rejet par le Département de la Justice de cinq plaintes criminelles précédentes déposées par la CIA, l'administration Obama a néanmoins engagé des poursuites contre lui sur le fondement de la loi sur l'espionnage (Espionage Act), le menaçant de 35 ans d’emprisonnement. Las, il a accepté de plaider coupable et s’en est sorti avec trente mois de prison. À ce jour, il demeure le seul agent de la CIA à avoir été incarcéré en relation avec la politique “d’interrogatoires renforcés" de l'administration Bush, bien qu'il n'ait personnellement jamais torturé quiconque.
Pascal Clérotte :
John Kiriakou, merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous parler. Pour débuter cette conversation, pourriez-vous nous faire part de votre sentiment sur ce qui se passe depuis le 20 janvier de cette année ?
John Kiriakou :
Je dois vous avouer que lorsque je me réveille le matin et que je parcours le Washington Post et le New York Times, je suis frappé de stupeur. La vitesse à laquelle vont les choses est proprement stupéfiante. Nous ne sommes que le 13 février, et le gros titre dans le Washington Post d’aujourd’hui concerne des licenciements massifs dans la fonction publique, alors qu’il n’y a pas eu de limogeages dans le secteur public depuis 1977. Ce qui se passe est inédit. Nous ne savons pas vraiment qui dirige Washington. Est-ce Elon Musk, qui n'est pas élu ? Ou bien est-ce Donald Trump ? Et quel objectif poursuivent-ils au juste ? Et je ne parle que de de la sphère domestique.
L'autre gros titre est qu’Israël prévoit d'attaquer l'Iran mais ne peut le faire qu'avec l'aide des États-Unis, ce qui me fait me demander si Benjamin Netanyahu et Donald Trump ont déjà eu cette conversation et si les États-Unis sont prêts à entrer en guerre sans que le peuple américain n'ait été consulté.
Renaud Beauchard :
En effet, ce qui se passe depuis le 20 janvier est sans précédent. Sur ce point, je suis tout à fait d'accord avec vous, bien que ce que je perçois est plutôt extraordinaire sur une autre plan. Le simple fait que Tulsi Gabbard ait été confirmée hier comme directeur du renseignement national est un coup de tonnerre. Et apparemment, RFK Jr. est presque certain d'être confirmé très bientôt. Les changements en cours sont gigantesques. Si gigantesques que nous avons du mal à gérer le flot d’informations incroyables qui parvient jusqu’à nous. Ma femme appelle maintenant Trump "Le Père Noël" parce que chaque jour porte son lot de nouvelles pour le moins encourageantes. Mais j’abonde dans votre sens lorsque vous soulignez l'aspect sombre des annonces en matière de politique étrangère, y compris celles concernant Gaza et le bruit des bottes américaines de nouveau dans la poudrière du Moyen-Orient, en particulier en ce qui concerne un éventuel conflit armé avec l'Iran.
Pascal Clérotte :
Pouvez-vous nous parler de votre grand exploit qui a été l'arrestation d'Abu Zubaydah?
John Kiriakou :
Bien sûr. C'est une longue histoire, mais je vais m’efforcer de la résumer. Au tout début de l’année 2002, j'étais stationné à Islamabad, au Pakistan. J’occupais alors les fonctions de chef des opérations de contreterrorisme au Pakistan pour la CIA depuis janvier 2002. Nous procédions de façon progressive en faisant des raids d’intervention dans une cache d'Al-Qaïda à la fois, au rythme d’une par nuit. Après environ six semaines là-bas, nous avons appris qu'Abu Zubaydah se terrait quelque part dans le pays. À l'époque, la CIA pensait qu'Abu Zubaydah était le numéro trois d'Al-Qaïda. Nous avons élaboré un plan pour le capturer avec l'aide d'un analyste de la CIA. Une équipe d’intervention composée de membres de la CIA, du FBI et de l'ISI pakistanais a frappé simultanément 13 sites fin mars 2002. Dans l'un de ces sites, nous avons découvert Abu Zubaydah et deux terroristes qui ont essayé de s’enfuir en sautant d'un toit à l'autre. Ses deux comparses ont été abattus par un policier pakistanais, et nous avons capturé Abu Zubaydah.
J'ai alors reçu des ordres directs du quartier général, venant du directeur de la CIA, George Tenet, m’intimant de rester à son chevet. Nous l'avons transféré dans un hôpital militaire pakistanais à une heure de là où nous l'avions capturé, à Faisalabad, au Pakistan. Je suis resté avec lui pendant les 56 heures suivantes jusqu'à ce qu'il soit finalement transporté vers une prison secrète. Un avion de la CIA est arrivé, et trois agents du FBI et moi l'avons chargé à bord. Il m'a beaucoup parlé pendant que nous attendions. Il a dit qu'il n’avait pas l’intention d’attaquer les États-Unis le 11 septembre ; ce qu’il voulait était tuer des Juifs, mais il avait été mis en minorité. Il m'a dit qu'il ne connaîtrait jamais le toucher d'une femme, ni la joie de la paternité. Nous avons eu des mots durs. Je lui ai dit : "Arrêtez un peu. Ce n’est pas vous qui êtes la victime dans ce cas présent. Il y avait 50 000 personnes dans ces tours. Qu'est-ce que vous pensiez que nous allions faire? Rester les bras croisés ?" Je lui ai offert des conseils : "Vous feriez bien de réaliser que je suis la personne la mieux intentionnée à votre égard que vous allez rencontrer dans cette aventure. Mes collègues ne seront pas aussi gentils. Si je peux vous donner un bon conseil, c’est de coopérer." Il a répondu : "Vous avez l’air d’un chic type, mais vous êtes l'ennemi, et je ne coopérerai jamais."
Il a en fait coopéré… avec un agent du FBI, du nom de Ali Soufan. Soufan a été viré du site secret et remplacé par des tortionnaires de la CIA qui ont immédiatement commencé à le torturer. Ils sont passé à un doigt de le tuer – lors d’une séance d’interrogation, son cœur s’est arrêté de battre. Ils l’ont réanimé puis ont continué à le torturer. Durant quatre ans, il a été trimballé d'une prison secrète à l’autre. Au total, il est passé par six sites différents et il se trouve à Guantanamo depuis 2006.
Renaud Beauchard :
John, d’évidence, votre destin et celui d'Abu Zubaydah sont très liés car, en fait, c'est ce qui vous a conduit à cette interview sur ABC qui a fait basculer votre vie pour le pire avec les autorités américaines en 2007. Auriez-vous réellement dénoncé le programme de torture si vous n'aviez pas vécu des instants si intenses et si primordiaux avec lui pendant ces 56 heures, comme vous l'avez mentionné ? Est-ce que le fait qu'Abu Zubaydah ait été torturé est vraiment ce qui a déclenché votre volonté de dénoncer le programme de torture ?
John Kiriakou :
C'est une bonne question. La réponse simple est oui. Quelles que soient les circonstances, j'aurais dénoncé les tortures. Mais je n'aurais pas la même estrade. C'est uniquement parce que j'avais capturé Abu Zubaydah, c'est parce que j'avais été le premier à m'asseoir et à lui parler que cela m'a donné accès aux médias américains qui ont relaté ce qui se passait dans l’envers du décor. J'ai honte de vous dire que, parmi les 14 officiers de la CIA qui ont été invités à se former aux techniques de torture, je suis le seul à avoir dit non. Après toutes ces années, je suis encore dégouté que tant de mes collègues aient été prêts à devenir des monstres. Oui. Vous dirais-je, j’ai payé le prix fort, mais je ne regrette pas un instant ce que j’ai fait et, si c’était à refaire, je le referais… Sans l’ombre d’une hésitation ! D'un côté, j'ai eu la chance d'avoir accès aux médias américains en décembre 2007 pour dire que mon gouvernement torturait ses détenus. De l'autre côté, si je n'avais pas été impliqué dans la capture d'Abu Zubaydah, je ne pense pas que quelqu'un aurait prêté attention à ce que je disais si j'étais allé dans les médias pour dénoncer la torture. D’ailleurs, il y a un codicille intéressant à cette fable. J'ai eu des contacts avec l'avocat d'Abu Zubaydah. Et à la toute fin de l'administration Biden, il semble qu’il y ait eu un espoir qu'il puisse être libéré. Rappelons à cet égard qu’il n'a jamais été mis en accusation pour le moindre crime, au motif que ses aveux ne peuvent pas être utilisé contre lui au tribunal car ils ont été obtenus sous le coup de la torture. Dans ces circonstances, tout ce que ses avocats attendaient était qu'un pays se déclare prêt à l’accueillir, ce qu’aucun n’a fait. Et aujourd’hui Donald Trump est président. Et non seulement il a affirmé que personne ne serait libéré de Guantanamo. Mais en outre, il a commencé à envoyer des légions de migrants non documentés à Guantanamo par avion. Je crains donc fort qu'Abu Zubaydah ne reste à Guantanamo illégalement pendant au moins les quatre prochaines années.
Renaud Beauchard :
Voilà une excellente transition pour passer à autre chose. Il y a quelqu'un dans l'histoire d'Abu Zubaydah qui est également très lié à vous, qui a joué un rôle très important dans votre vie, et qui est maintenant au cœur de l’actualité récente des débuts de l'administration Trump. Je veux parler de John Brennan. De ce que je comprends, il est un peu un accusateur comme ceux d'Edmond Dantès dans "Le Comte de Monte-Cristo" dans votre existence. Pourriez-vous élargir sur le rôle que John Brennan a joué dans votre drame personnel ?
John Kiriakou :
Je suis très content que vous ayez mentionné John Brennan, car c'est un sujet dont la plupart des Américains ignorent tout. John Brennan et moi avons travaillé ensemble à la CIA tout au long de ma carrière. Je le connais depuis 35 ans et cela fait 35 ans que nous nous détestons. En 2007, John Brennan a pris une décision politique très intéressante et cruciale pour lui. Comme beaucoup d’autres dans la communauté du renseignement, il a pris sa retraite de la CIA cette année-là. Environ la moitié de ces nouveaux retraités sont devenus conseillers pour la campagne présidentielle de Hillary Clinton, tandis que l'autre moitié est partie se mettre au service de John McCain. John Brennan fut le seul à rejoindre la campagne d'Obama. Quand Barack Obama a remporté l'élection, John a remporté la mise, d'abord en tant que conseiller adjoint à la sécurité nationale au contre-terrorisme, puis en tant que directeur de la CIA. Comme Obama était censé être un démocrate de gauche, progressiste, la plupart des Américains pensaient que les conseillers dont il s’était entouré étaient des démocrates progressistes. Rien n’est moins vrai. Bien que John Brennan se soit toujours présenté comme apolitique, comme n’ayant aucun intérêt pour la politique, il était en réalité très conservateur et avait été un des architectes du programme de torture. Pendant des années, les médias américains ont relaté que les tortionnaires des années de la guerre globale contre la terreur étaient tous des partisans chevronnés de George W. Bush. C'est complètement faux. Les architectes de la normalisation de la torture étaient des gens de George W. Bush, de Hillary Clinton, de John McCain, et aussi de Barack Obama. John Brennan a su se faufiler au travers ces mailles jusqu’à parvenir au sommet, devenant finalement directeur de la CIA durant le deuxième mandat d'Obama, sans jamais avoir à payer le prix de ses positions sur la torture. C'est quelque chose que les Américains ne savent pas, mais qu'ils devraient comprendre pour connaître ceux qui les représentent aux postes les plus importants du gouvernement.
Pascal Clérotte :
De même, si on parle de l'USAID, quand vous travailliez pour le Congrès des États-Unis, vous avez bien été témoin du financement de l'irrigation des champs de pavot en Afghanistan, n'est-ce pas ?
John Kiriakou :
Oui, je dirigeais alors le service des enquêtes au sein de la commission des affaires étrangères du Sénat. Je voulais réaliser une étude sur la culture du pavot en Afghanistan. A cette fin, je me suis rendu à la base aérienne de Bagram, et en tant que membre aux échelons supérieurs du personnel, j'avais l’équivalent du rang de général de brigade, ce qui me permettait de réquisitionner un hélicoptère. J'ai décidé de me rendre à Kandahar, puis à Lashkar Gah dans la province d'Helmand au sud de l'Afghanistan pour observer les champs de pavot.
Ils ont d'abord refusé, mais j'ai insisté, et nous nous sommes finalement envolés pour Kandahar puis pour Lashkar Gah. Arrivés là-bas, ce que j’ai observé était du pavot à perte de vue. J'ai dit à mes accompagnateurs militaires que je voulais rencontrer un paysan cultivant du pavot pour l'interviewer.
A l’atterrissage, nous avons été accueilli par ce qu'on appelle une Équipe de reconstruction provinciale (PRT), une structure gérée par le Département d'État, comprenant aussi l'armée, l'USAID, et d'autres organisations. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils n'étaient pas ravis de ma requête, mais j'ai insisté. Avec une équipe de sécurité et un traducteur, nous sommes allés dans les champs.
J'ai naïvement demandé à un fermier pourquoi il ne cultivait pas des légumes ou des fruits à deux saisons de croissance plutôt que du pavot. Frustré, il a répondu : "Les Américains m'ont dit en 2001 que si je leur disais où se cachaient les Arabes, je pouvais cultiver tout le pavot que je voulais."
Quand j'ai demandé quels Américains lui avaient dit cela, mes accompagnateurs, visiblement gênés, ont immédiatement mis fin à l'entretien pour des raisons de sécurité.
De retour aux États-Unis, j'ai rapporté ces informations à John Kerry, qui a étouffé l’affaire. Pour quelle raison ? L'Afghanistan produisait 93% de l'héroïne mondiale, principalement destinée à la Russie et à l'Iran, pour les affaiblir.
Pascal Clérotte :
Saviez-vous que l'USAID menait également un programme d'éradication du pavot, dont le contrat a été attribué à DynCorp ?
John Kiriakou :
Oui, c'est ironique, n'est-ce pas ? DynCorp a pratiquement géré la totalité de l'Afghanistan au nom du gouvernement américain.
Pascal Clérotte :
Pour nos auditeurs, DynCorp est l'un des principaux contractants de la défense aux États-Unis.
John Kiriakou :
C'est exact. DynCorp emploie des dizaines de milliers de personnes. Au passage, Washington, D.C. abrite désormais le plus grand nombre de millionnaires par habitant aux États-Unis. Autrefois, c'était la Silicon Valley, mais aujourd'hui, c'est D.C., grâce à l'argent dépensé dans la 'défense nationale' depuis le 11 septembre. Des billions (mille milliards) de dollars - on parle d'une estimation à 23 mille milliards de dollars depuis le 11 septembre - ont été investis dans les contrats de défense, enrichissant les actionnaires et les investisseurs de DynCorp, Northrop Grumman, Lockheed Martin, et bien d’autres.
Maison à Santa Barbara, en Californie, d’un ancien PDG de Raytheon. En 2016, la maison a été mise en vente pour un prix de vente de 14 millions de dollars. Source: WSJ. https://www.wsj.com/articles/up-for-auction-a-santa-barbara-compound-built-for-play-1460645350
Renaud Beauchard :
Revenons à l'Afghanistan et aux champs de pavot. Ce que Kerry vous a dit sur le désir des États-Unis de rendre la Russie et l'Iran dépendantes de l'héroïne, c'est exactement ce que l'Empire britannique avait fait au XIXème siècle en Chine avec l'opium, ce qui a déclenché les guerres de l'opium.
John Kiriakou :
Les guerres de l'opium, exactement. L'histoire se répète. Ceux qui ne connaissent pas l'histoire sont condamnés à la répéter.
Renaud Beauchard :
Mais avec mes connaissances limitées de la société russe et iranienne, il ne me semble pas que ce soit des sociétés où l'addiction à l'héroïne est répandue. N’y a-t-il pas un léger problème dans l’exécution du plan ?
John Kiriakou :
C'est un vœu pieux de la part du gouvernement américain.
Pascal Clérotte :
Pouvons-nous revenir maintenant à l'histoire de la CIA, depuis les années 1920, en passant par l'OSS pendant la Seconde Guerre mondiale, jusqu'à la création de la CIA en 1947 ?
John Kiriakou :
L’idée de créer une agence de renseignement extérieur a commencé à germer dans les années vingt à Wall Street avec les frères Dulles, Joseph P. Kennedy et les père et grand-père de George H.W. Bush. La plupart des Américains ignorent que ces hommes d'affaires conservateurs, blancs et riches ont promu l'idée d'un service de renseignement. Ces projets ne sont en revanche concrétisés qu’avec la Seconde Guerre mondiale, avec la création de l'Office of Strategic Services (OSS).
L'OSS recrutait des soldats ou des civils américains parlant couramment une langue étrangère – des Américains d'origine grecque étaient envoyés en Grèce pour espionner les mouvements des troupes nazies, des Juifs allemands étaient envoyés en Allemagne. Après la guerre, le président Truman a estimé qu'il fallait formaliser cela, et en 1947, le Congrès a adopté la loi sur la sécurité nationale, créant ainsi la CIA. L'objectif était de centraliser le renseignement extérieur.
Cependant, en 1963, Truman, alors à la retraite, a réalisé qu'il avait commis une terrible erreur. Peu après l’assassinat de Kennedy, il a signé une tribune dans le Washington Post, dénonçant la CIA. Allen Dulles et d'autres ont tenté de le censurer, retardant la publication de la tribune de Truman.
Pascal Clérotte :
Les britanniques étaient également dans le coup de la création de l’OSS, n’est-ce pas ?
John Kiriakou :
Oh oui. Pour ainsi dire, l'OSS a été créé par les Britanniques. Des officiers du MI6 britannique à Washington et à New York ont aidé à établir l'OSS et ont ensuite participé à la création de la CIA.
Pascal Clérotte :
A cet égard, il y a une anecdote amusante concernant James Jesus Angleton, dont le mentor n'était autre que Kim Philby.
John Kiriakou :
Exactement. Angleton était si proche de Philby que, lorsqu'il a découvert que Philby était un agent du KGB, il est devenu paranoïaque, ruinant au passage la vie de nombreux officiers de la CIA. Il a également visé les services de renseignement en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie, accusant des officiers loyaux d'être des taupes du KGB.
Pascal Clérotte :
En matière d'opérations de renseignement, l'un des leviers les plus puissants dans l'acronyme MICE est l'argent. Peut-on dire que l'un des leviers les plus puissants de la CIA est une forme de corruption ?
John Kiriakou :
Oh, c'est le cas. La nature profonde de la CIA est de promouvoir la corruption.
Pascal Clérotte :
Entre 1947 et 1975, la CIA était son propre argentier. La commission Church a-t-elle provoqué l'émergence de l'USAID comme l’argentier des opérations clandestines?
John Kiriakou :
Non, cela s’est produit plus tôt. Dans une lettre de 1973, le sénateur Ted Kennedy avait demandé au secrétaire d'État Henry Kissinger et au directeur de la CIA si l'USAID agissait comme une couverture pour la CIA. La réponse était indiscutablement "oui". L'USAID a financé des opérations de la CIA au Laos entre 1969 et 1972 et a continué de servir de façade à la CIA jusqu'à aujourd'hui, y compris en Afghanistan, en Bolivie et à Cuba.
Et il y a eu des dizaines d'opérations entre-temps. L'USAID était présente partout en Afghanistan pendant toutes ces années. Ils étaient censés construire des réseaux électriques, des hôpitaux, des écoles, et promouvoir la démocratie. Mais tout ce qu'ils faisaient en réalité était de servir de couverture à la CIA pendant tout ce temps.
Renaud Beauchard :
A vous entendre, il ne brûle de vous poser une question. Vous avez été recruté par l'un de vos anciens professeurs de l'Université George Washington. Vous avez commencé à la CIA en 1990, et si je me souviens bien, votre première mission en tant qu'analyste était en Irak quelques mois avant l'invasion du Koweït. Vous êtes resté à la CIA jusqu'en 2004. Vous avez démissionné alors que vous étiez au sommet de la hiérarchie. Si mes souvenirs sont bons, je crois que vous étiez alors directeur adjoint des opérations. Quand avez-vous réalisé que tout cela se délitait ? Qu'est-ce qui vous a poussé, vous en tant qu’ancien jeune idéaliste voulant faire une différence au service de l’Etat, à quitter votre emploi pour rejoindre Deloitte?
John Kiriakou :
Quand j'étais en master, je ne voulais rien d'autre qu'entrer au service de l’Etat. Je viens d'une famille d'immigrés. Tous mes quatre grands-parents étaient de Grèce, de l'île de Rhodes pour être exact, et ils étaient tous d’une éternelle reconnaissance envers les Etats Unis pour ce qu’ils nous avaient donné. Je me sentais profondément redevable envers mon pays et la meilleure façon de le faire me paraissait être d’embrasser une carrière au service du public. Quand j'ai été recruté par la CIA, je voyais donc cela comme un moyen de m’acquitter de ma dette envers mon pays, en même temps que de découvrir le monde. J'avais vraiment envie de voyager.
Rétrospectivement, je me dis qu’il n'y a eu qu'une très brève période où les américains pouvaient être fiers de ce que faisait la CIA, coïncidant à l'administration Clinton. C’est en effet l’époque où l’agence a commencé à intervenir dans des domaines comme la lutte contre le SIDA ou la lutte contre le changement climatique, en plus de tenter d’assurer la sécurité du territoire. Je croyais vraiment que nous avions à cœur de protéger les américains. Cela a changé après le 11 septembre. A partir de ce moment-là, la CIA est devenue une vulgaire organisation paramilitaire, concentrée uniquement sur le contre-terrorisme. Au lieu d'opérer dans le cadre de la loi, la CIA a alors commencé à entreprendre des actions criminelles comme des programmes de torture, des enlèvements et l’administration de prisons secrètes à travers le monde. Pour moi, c'était inacceptable. Nous sommes censés être une nation gouvernée par des lois et une constitution. On ne peut pas prétendre que les lois ne s'appliquent pas à nous parce que c'est plus expédient de torturer des gens. Lorsque j'ai réalisé que mon idéologie personnelle n'était plus en phase avec celle de ceux qui m'entouraient, j'ai compris que je devais partir.
Pascal Clérotte :
Ah, vous êtes un Grec insulaire. Je suppose que vous avez dû bien vous entendre avec George Tenet, qui est un Albanais hellénophone des montagnes si mes souvenirs sont bons.
John Kiriakou :
Je suis content que vous en parliez, car si vous ne l'aviez pas fait, je l'aurais mentionné. Oui, George était un Albanais des montagnes parlant grec. Nous avions une relation étrange. George ne m'a jamais apprécié, ce qui était triste car je le tenais en haute estime. Mais il ne m'aimait pas parce que ma famille venait d'une île, et il croyait que les Grecs insulaires regardaient de haut les Grecs des montagnes, ce qui est vrai. Je l'admets. Mais je ne le regardais pas de haut. Il était directeur de la CIA, il était mon patron. George s'entourait de grecs-américains à la CIA, mais tous, sans exception, venaient du continent. Il n'y avait pas d'insulaires.
Pascal Clérotte :
Avant d'entrer à la CIA, vous deviez connaître son histoire, non ? Je veux dire, le Guatemala, Mossadegh en Iran, et ainsi de suite. Voulez-vous dire que, après la chute du mur, il y a eu un changement d'orientation vers une organisation axée sur la collecte et l'analyse de renseignements, laissant de côté les opérations paramilitaires ?
John Kiriakou :
Oui, c'est exactement ça. Quand j'ai envisagé de travailler pour la CIA, j’entretenais une relation avec avec une femme dont un ami travaillait pour l'agence, et elle a organisé un dîner pour que nous nous rencontrions tous. Je lui ai posé précisément vos questions. Et l'Iran, Mossadegh1? Et Arbenz2 ? Et le coup d'État en Grèce en 1967 ? Il m'a répondu que ces jours étaient révolus. Il m’a dit que dorénavant, le rôle de la CIA était vraiment de recruter des agents pour fournir des renseignements et ensuite d'analyser ces informations pour que nos décideurs puissent mener des politiques plus éclairées. Durant l'administration Clinton, il existait vraiment ce qu'on appelait le "dividende de la paix". Nous étions en train d’ établir de bonne relations avec la Russie, par exemple. Nous n'avions pas de véritable problème avec la Chine dans les années 90. On parlait de reprendre des pourparlers avec l'Iran. Certes, nous avions un problème avec l'Irak, mais c'était à peu près tout. J'ai soutenu l'intervention américaine pour protéger les Kurdes, les musulmans chiites et les minorités religieuses en Irak. J'ai donc accepté ce travail avec enthousiasme et servi fièrement durant les années 90. Et puis, oh là là, les choses ont changé après le 11 septembre.
Pascal Clérotte :
Je veux dire, ce changement a eu lieu avant. Je pense en particulier à 1999 et à la Serbie. N’ais-je pas raison ?
John Kiriakou :
Oh, oui. J'étais stationné en Grèce à l'époque. C'était cauchemardesque. La Grèce est un pays chrétien orthodoxe, la Serbie est un frère chrétien orthodoxe, et je suis chrétien orthodoxe. Donc, aller au travail tous les jours pour défendre les attaques de Bill Clinton contre la Serbie était un véritable cauchemar. Il y avait des manifestations presque quotidiennes devant l'ambassade américaine. Ils cassaient les vitres, lançaient des pavets pour les briser, projetaient des ballons de peinture rouge sur l'ambassade. C'était terrible. Et puis, il y a eu des tentatives d'assassinat contre des Américains, contre des personnalités américaines à Athènes, juste en signe de protestation. Vous avez tout à fait raison concernant la Serbie. Bill Clinton avait complètement tort sur cette question.
Renaud Beauchard :
Vous parlez beaucoup de l’administration Clinton comme une sorte d’âge d’or. Mais ne croyez-vous pas, comme cela a été admirablement exprimé dans un recent article de Nathan Pinkowski dans la revue First Things, que les conceptions alors défendues sont à l’origine de tout ce qui a mal tourné ? Pinkowski estime que l’administration Clinton, en adoptant une conception substantive du bien, a aboli la séparation entre l’Etat et la société, une séparation maintenue jugée comme néfaste, comme indiqué par la vision d’Obama du « Whole of Society. » Un aspect central de l’abolition de cette distinction est l’instauration des régime de sanctions sous Clinton. Les sanctions ont d’abord été dirigées contre des leaders plus ou moins douteux comme Milosevic et son entourage. Puis les Etats Unis ont commencé par viser des pays entiers, comme la Lybie et l’Iran, afin de les forcer à l’obéissance. Puis ils ont commencé à viser des superpuissances comme la Russie, et maintenant, les sanctions sont redirigées vers des cibles domestiques, c’est-à-dire contre nous, citoyens américains. Ne croyez-vous pas au contraire que l’administration Clinton a engagé les Etats Unis sur la pente glissante qui nous a mené vers l’omni surveillance, la répression de la dissidence et des opposition politiques et la censure de masse ?
John Kiriakou :
Oui, c'est bien ce qui s'est passé. C'est le problème du manque de contrôle par le Congrès. C'était une pente très glissante. Beaucoup de politiciens américains ne savent pas quand s’arrêter. Maintenant, nous avons des sanctions contre tout le monde. À mon avis, la prolifération des sanctions américaines à travers le monde est ce qui a conduit à la création des BRICS. Nous avons des sanctions contre la Russie, la Chine, l'Iran, le Venezuela – chaque fois que nous n'apprécions pas les opinions politiques de quelqu'un. La création des BRICS a changé cela, permettant des transactions financières en contournant le système américain. Les sanctions ont affaibli les États-Unis et nous relégueront à n'être qu'une puissance régionale.
Pascal Clérotte :
Et si les sanctions fonctionnaient, Cuba aurait connu un changement de régime depuis longtemps.
John Kiriakou :
Exactement. Demandez aux Cubains ce qu'ils pensent des sanctions, ils vous diront tout ce que vous voulez savoir. Je suis allé à Cuba l'année dernière, et même s'ils manquent de certaines choses, leur économie est résiliente. Les sanctions ne sont pas la solution.
John Kiriakou :
Messieurs, je vous prie de m'excuser, mais j'ai un autre entretien qui commence dans moins de deux minutes.
Renaud Beauchard :
Aucun problème, John. C'était parfait. Merci.
John Kiriakou :
Merci. Faisons-le à nouveau une autre fois.
Cofondateur du Front national iranien et premier ministre par deux fois, de 1951 à 1952, puis de 1952 à 1953, Mohammad Mossadegh a été renversé par un coup d'État orchestré par les États-Unis et le Royaume-Uni, qui ont installé à sa place le Shah d’Iran. Son grand crime était d’avoir voulu instaurer une véritable souveraineté de l’Iran sur ses ressources naturelles.
Président du Guatemala de 1951 à 1954, Jacobo Árbenz Guzmán a été renversé par un coup d'État organisé par la CIA, connu sous le nom de code d'opération PBSUCCESS, et remplacé par une junte militaire, dirigée par le colonel Carlos Castillo Armas, plongeant le pays dans une longue période de violente instabilité politique qui culmine avec la guerre civile de 1960 à 1996. Selon l'écrivain uruguayen Eduardo Galeano, la chute d'Árbenz « marqua au fer rouge l'histoire postérieure du pays. »